Le vieux Cévenol et l'enfant
par André GARDIES



En cette soirée printanière, dans la cour de la Maison des Associations bien remplie, c’est André GARDIES, qui nous présente son dernier ouvrage  « Le vieux cévenol et l’enfant ».


Notre association a réuni un public de passionnés fidèles au rendez-vous du traditionnel Barbecue littéraire. C’est en 2008  que la formule a été lancée avec déjà André GARDIES et son roman « Le visiteur solitaire ».

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C’est Farès LOUIS, président des Amis de Bernis qui présente l’auteur, suivi par Monique BARRIERE, qui donne le détail de la soirée.

André GARDIES prend ensuite la parole pour indiquer quels sont les volontaires qui vont lire des passages choisis.

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Ils seront quatre : Jean Pierre JULIEN résume le livre sans en dévoiler la fin : l’histoire d’un vieux retraité Albert THEROND qui voit s’installer à côté de chez lui une famille française d’origine malienne, dans une ferme qu’il convoitait depuis des années. Ce sont des raisons suffisantes pour haïr ces gens à la peau noire et développer des idées racistes. Petit à petit et à la suite d’un accident une amitié se noue surtout avec le petit malien Charles. THEROND va jusqu’à les défendre contre la vindicte des villageois dont certains sont des anciens amis de bistrot. 
La suite de l’extrait est dite par Jean GAUTHIER. Michel MASSAL lit un nouvel extrait : « La cueillette des cèpes » et Elisabeth MAURIN « La sortie de l’école ».
Michel MASSAL ouvre le débat sur le racisme au cinéma et demande à André s’il a écrit ce livre en pensant à l’idée d’un film. Pas forcément répond l’auteur.
Dans les questions, beaucoup ont portées sur le racisme. La fin de l’histoire est pour certains trop triste, il est vrai qu’un auteur dispose du droit de vie et de mort sur ses personnages.
Pour conclure André GARDIES nous dit qu'il a voulu traiter dans cet ouvrage le thème de l’ouverture à l’autre.

Malheureusement, il faut interrompre le débat car les grillades ne peuvent attendre plus longtemps !
Après les salades variées, préparées par nos cuisinières, saucisses et merguez, précèdent fromages et cornets de glace.

Encore une soirée enrichissante à mettre à l’actif de notre association, rendez-vous est pris pour 2014, merci à tous les bénévoles, à Monique BARRIERE et André GARDIES.
Merci à Théo GRANCHI, maire de Bernis qui, avec quelques élus, a participé à cette soirée.
 
Bernard AUGIER


Extraits du livre "le vieux Cévenol et l'enfant" :

 

Chapitre 1
 

– Albert Thérond, Albert Thérond ! Vous êtes réveillé ? Vous m’entendez ? Comment vous sentez-vous ? Donnez-moi votre bras…
Le docteur lui a pris le pouls, ensuite la tension.
– Bon, c’est pas trop mal, vous vous en tirez plutôt bien… Vous savez qui je suis ? Comment je m’appelle ?
D’une voix encore un peu ensommeillée, le patient a répondu :
– Vous êtes le docteur, le docteur Bonnafous.
– Parfait ! Et vous savez où vous êtes ?
Albert Thérond s’est redressé, a regardé tout autour de lui, l’air étonné qu’on lui pose cette question :
– Ben, dans mon lit, chez moi. Où voulez-vous que je sois ?
– Très bien. Je vois que vous avez repris vos esprits. Seulement, il y a une chose, que manifestement vous ignorez, c’est que vous avez une sacrée chance ! La chance d’être ici, chez vous. Et cette chance, elle ne sera pas toujours là, monsieur Thérond, si vous continuez à boire comme ça. Qu’est-ce qui s’est passé hier, dans la nuit ? Vous vous en souvenez ?
Plein de bonne volonté, l’homme alité fait manifestement de gros efforts pour extraire quelques images de sa mémoire :
– J’étais au café… Je suis rentré. Il faisait nuit. On voyait mal sur la route. Ça tournait, ça tournait. Tout à coup il y a eu des phares devant moi, en pleine figure. J’ai donné un coup de volant à droite, puis il me semble… Je ne sais plus.
– Eh bien ! je vais vous le dire, moi : on vous a retrouvé quasiment évanoui, affalé sur le siège de votre voiture, la portière ouverte dans le froid. Et si vous êtes là dans votre chambre, si nous sommes tous les deux, ici, en train de parler, c’est grâce à votre voisin. Vous lui devez une fière chandelle. Sans lui, c’est pour le permis d’inhumer que je serais venu.
– Comment ça ? Qu’est-ce qu’il a encore fait le Bamboula ?
– Le Bamboula ? Après un instant d’hésitation, le docteur Bonnafous a réagi d’un ton ferme : tout Bamboula qu’il est, comme vous dites, sachez que monsieur Cordat vous a tout bonnement sauvé la vie.
 

Et devant la mimique d’incompréhension du rescapé, le docteur lui a raconté ce qu’il savait et que lui avait rapporté le voisin lui-même.
Il faisait nuit quand ses derniers invités étaient partis de chez lui après la fête, un peu pompettes et plutôt gais ; ça, ajouté au brouillard à couper au couteau, il fallait être prudent. Avec tous les virages, la route était mauvaise, avait-il insisté auprès des conducteurs. Promis, promis, ils feraient très attention. Mais mieux valait s’en assurer. Aussi, Cordat avait-il téléphoné à ses deux derniers invités pour vérifier qu’ils étaient bien rentrés. Un peu fatigant à cause du manque de visibilité, lui avaient-ils répondu l’un et l’autre, sinon tout s’était bien passé, à part la 2 CV du vieux. Oui, d’un peu plus, s’ils n’avaient pas klaxonné comme des sourds, tous les deux ils se la prenaient plein pot. Elle roulait complètement à gauche. Sûr que le chauffeur n’était pas net.
 

– Dis donc, Jeanne, a commenté Édouard Cordat en raccrochant, on dirait que le Thérond, il a fait la java lui aussi : il tenait toute la chaussée quand Paul puis Yacine l’ont croisé ! J’ai l’impression que le brouillard n’était pas que sur la route…
– Mais, à propos, tu l’as entendu rentrer ? s’est inquiétée son épouse.
– Non, tu as raison… C’est qu’on n’a pas dû faire attention.
– Quand même. Tu penses pas qu’on pourrait aller voir ?
– Pour quoi faire ? Après tout, ce sont ses oignons. Il est assez grand et vieux pour savoir ce qu’il doit faire.
– Mais non, Édouard, c’est plutôt qu’on sait jamais. S’il lui était arrivé quelque chose ?
– Et après ? Bien fait pour lui. Il n’aurait que ce qu’il mérite, cette espèce d’emmerdeur.
– Emmerdeur, d’accord, mais là c’est peut-être sérieux. Non-assistance à personne en danger, tu vois ça ?
– Pourquoi tu dramatises toujours ? D’abord, il est peut-être en train de ronfler au fond de son lit…
– Si tu ne veux pas venir, reste là, moi je vais voir.
 

Elle était sortie dans la nuit. Effectivement, il n’y avait aucune lumière dans la maison, pas de 2 CV non plus dans la cour ni sous la remise. Bientôt une heure que les deux voitures l’avaient croisée ! Pas normal.
– Je t’assure, Édouard, il s’est passé quelque chose. J’en ai le pressentiment.
Ils avaient pris la R16. Avaient roulé à faible allure à travers le brouillard encore épais. À peine un kilomètre plus loin, ils avaient deviné, engagée dans un champ, la silhouette immobile de la voiture. Inquiets, ils s’étaient approchés et par la portière complètement ouverte, ils avaient découvert le vieux Thérond, la tête en arrière, toute molle, appuyée contre le haut du siège, une jambe pendant à l’extérieur. Totalement immobile. Si, il respirait, faiblement, mais il respirait. Le front et les mains complètement glacés.
Sans courir le risque de le déplacer, ils l’avaient couvert avec deux plaids afin de le mettre à l’abri de la fraîcheur et, tandis que Jeanne restait auprès de lui, Édouard avait filé jusqu’à la maison pour téléphoner aux pompiers et au médecin.
 

– Et c’est moi qui ai pris les choses en main, a poursuivi le docteur Bonnafous. J’ai récupéré vos clés dans votre poche pour vous conduire ici. Un sérieux, croyez-moi, un très sérieux malaise cardiaque que vous nous avez fait, sans compter le traumatisme à la tête. Si vous aviez passé toute la nuit dans l’état où on vous a trouvé, eh bien, c’est clair, ce matin on serait en train de préparer le trou. Vous avez eu une sacrée chance ! [...]
 

Chapitre 4
 

[…] À quelques jours de là, alors qu’il venait de s’engager, au volant de sa R16, sur le chemin vicinal, sommairement goudronné, qui aboutissait au hameau, Édouard Cordat s’était trouvé presque nez à nez avec Albert Thérond, juché sur son tracteur, tirant une longue remorque brinquebalante. L’étroitesse du chemin rendait le croisement délicat, mais si chacun serrait bien sur sa droite, ça pourrait passer, a tout de suite évalué l’automobiliste. Il a ralenti tout en empiétant autant qu’il le pouvait sur le bas-côté herbeux. Parvenu à hauteur du tracteur, il s’est arrêté pour laisser ce dernier manœuvrer à son tour. Mais celui-ci ne se déportait guère. Son conducteur se tenait raide devant son volant, immobile, regardant en dessous de lui la R16 dont le chauffeur esquissait encore quelques tentatives, avant de renoncer. Pendant un moment les deux hommes n’ont rien dit. Se sont regardés, dévisagés même. Puis, sur le ton de la colère à peine contenue, Albert Thérond a lancé :
– Mais vous voyez bien que ça passe pas…
– Mais si, en vous serrant un peu plus ça doit aller.
– Vous croyez ça ? J’ai pas envie, mon bon monsieur, de basculer si les roues de la remorque mordent le fossé. Avec vos camions qui ont tout labouré, c’est devenu tout mou.
 

Impassible, comme s’il n’avait pas entendu la remarque, Édouard Cordat a poursuivi :
– Je vous assure, il y a de la marge encore. Je vais vous guider.
– Pas question. Je ne bouge pas. Qu’est-ce que vous imaginez ? À peine arrivé ici vous voudriez peut-être qu’on s’écarte et qu’on vous fasse une haie d’honneur ? Tous ces problèmes, c’est à cause de vous. Si vous n’étiez pas là, ça n’arriverait pas.
Qu’y avait-il à répondre à pareille lapalissade ? Sans un mot, le visage fermé, Édouard Cordat a enclenché la marche arrière, a reculé pour revenir entièrement sur la chaussée puis est descendu de sa voiture pour aller se planter, debout, face à son vieux voisin :
– Décidément, vous avez la tête dure, monsieur Thérond. Vous ne voulez rien entendre, mais ne vous faites pas d’illusions, si je vous laisse le passage c’est pas parce que vous auriez plus de droits que moi, c’est parce que la loi justement, le code de la route, m’y contraint : « Quand deux véhicules ne peuvent se croiser, c’est au plus maniable de reculer ». Tenez-vous-le pour dit. Quand on est de bonne foi, on peut toujours trouver une solution.
 

Sur ces mots, il est revenu s’installer au volant et a reculé pour libérer le passage.
Peu de jours après, Albert Thérond, au volant de sa 2 CV, descendait de son train de sénateur la petite départementale pour rejoindre ses copains chez Pantel. Il n’était pas très loin de Pont d’Arpan, une paire de kilomètres environ, dans la partie de route la plus incertaine tant elle était étroite. Il sortait d’un des virages en épingle à cheveux qui surplombent la vallée, quand a débouché, montant vers lui, la R16 de son voisin. Surpris, il a d’abord freiné puis, sans s’arrêter, a repris son avancée, prudemment. Bamboula ! Encore lui ! Toujours sur mon chemin, celui-là. Pas question que j’aille complètement à droite, j’ai le parapet. Il serait bien trop content si je me cassais la gueule dans le ravin.
Les deux voitures n’ont pas tardé à s’immobiliser, face à face. Si chacun ne serrait pas au maximum sur sa droite, le croisement était impossible. Édouard Cordat a descendu sa vitre, penché la tête à l’extérieur :
 

– Décidément, monsieur Thérond, nous sommes faits pour nous rencontrer dans des circonstances difficiles. Puis il s’est tu, attendant de voir comment l’autre allait réagir.
L’autre justement ne bougeait pas ; le dos calé contre le siège, les deux mains posées sur le bas du volant, dans l’attitude de celui qui, sûr de son bon droit, attend le plus simplement du monde que l’autre fasse marche arrière.
– Monsieur Thérond, j’ignore ce que vous avez l’intention de faire, mais, cette fois, je ne bougerai pas. J’attends que vous me laissiez le passage. Et, croyez-moi, j’ai tout mon temps.
– Je suis pas pressé, non plus. Et c’est pas parce que vous avez une grosse voiture qu’il faut vous croire tout permis. Ça commence à bien faire.
– Vous vous emportez contre quoi, contre qui, monsieur Thérond ? Pourtant c’est simple. Le code de la route ne peut pas être plus clair : « Dans une côte, c’est le véhicule ascendant qui a la priorité. » Vous me devez donc le passage. En d’autres circonstances, par respect pour votre âge, je me serais volontiers effacé, mais là pas question.
– Le code, le code ! Toujours vous me sortez ça ! Qu’est-ce que j’en ai à fiche ? C’est bon pour la ville ce truc-là, pas pour ici. J’ai jamais eu de problèmes avant que vous n’arriviez, alors je vois pas pourquoi ça changerait.
De la poche de sa veste kaki, il a sorti sa pipe et son paquet de tabac. A méticuleusement tassé le fourneau avant d’allumer le tout avec son briquet à essence. Par la demi-vitre relevée de la 2 CV, deux ou trois petits nuages de fumée se sont échappés.
– Eh bien ! il ne reste qu’à attendre les flics… Tout en disant cela, Édouard Cordat est sorti de son véhicule, a fouillé dans son coffre, en a retiré un triangle de signalisation qu’il est allé poser sur la chaussée, plus bas, à l’entrée du virage d’en dessous. De retour à sa voiture, il s’est installé confortablement, portières ouvertes, pour lire le Midi Libre, tout en jetant de temps à autre un coup d’œil dans le rétroviseur.